MEMOIRES de B. BARERE,
publiés par MM. Hippolyte Carnot et Pierre-Jean David (d'Angers),
P., 1844, tt. 1-4.

    Je puis parler de Saint-Just et de son génie. Je ne suis pas suspect; j’ai dénoncé son ambition.


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    Saint-Just avait un talent rare et un orgueil insupportable. Il ne parlait que de la République et il avait un despotisme habituel.
    S’il eût vécu dans le temps des Républiques grecques, il aurait été Spartiate. Ses Fragments prouvent qu’il aurait choisi les institutions de Lycurgue; il a eu le sort d’Agis et de Cléomènès.
    S’il fût né Romain, il eût fait des révolutions comme Marius, mais n’aurait jamais opprimé comme Sylla. Il exécrait la noblesse autant qu’il aimait le peuple.
    Sa manière de l’aimer ne convenait sans doute ni à son pays, ni à son siècle, ni à ses contemporains, puisqu’il a péri; mais du moins il a laissé en France et au dix-huitième siècle une forte trace de talent, de caractère et de républicanisme.
    Son style était laconique; son caractère était austère; ses mœurs politiques sévères; quel succès pouvait-il espérer?
    Ce qui distingue l’esprit de Saint-Just est l’audace. C’est lui qui a dit le premier que le secret de la Révolution était dans le mot OSEZ et il a osé…
    C’est lui qui a dit que le repos des révolutionnaires est dans la tombe, et il y est descendu à 27 ans.
    Il avait beaucoup lu Tacite et Montesquieu, ces deux hommes de génie qui abrégeaient tout, parce qu’il voyaient tout. Il en avait pris le style vif, concis et épigrammatique; il avait quelquefois la manière forte, incisive et profonde de ces deux écrivains politiques.
    On a dit de ses rapports à la Convention nationale qu’ils parlaient comme une hache. Allusion terrible aux décrets d’accusation contre les Représentants du peuple; décrets qui terminèrent une partie de ses rapports. Et cependant c’est dans ses Fragments qu’on trouve ce projet de loi: «Si un député du peuple est condamné, il doit choisir un exil hors de l’Europe pour épargner au peuple l’image du supplice d’un de ses représentants».


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    Saint-Just avait un esprit pénétrant pour les principes; mais son jugement était peu formé sur les hommes. Croirait-on qu’appelé sur le Rhin pour organiser l’exécution combinée de plans de campagne avec les généraux de l’armée du Rhin et de l’armée de la Moselle, il préféra Pichegru à Hoche. Aussi il persécuta ce dernier, qui seul avait vaincu les Prussiens et délivré Landau. Saint-Just fut offensé de ce qu’un jour Hoche ne voulut pas communiquer au Représentant du peuple les mesures militaires qu’il allait prendre. Si Saint-Just eut ses motifs pour croire son autorité outragée, Hoche avait aussi ses raisons pour craindre des indiscrétions qui déjà avaient été funestes à l’armée.

    Saint-Just s’occupait beaucoup des affaires militaires.