MARC-ANTOINE BAUDOT.
NOTES HISTORIQUES SUR LA CONVENTION NATIONALE,
LE DIRECTOIRE, L'EMPIRE & L'EXIL DES VOTANTS,
L., 1893

    Saint-Just était un petit Montesquieu adolescent avec le cœur de Néron homme fait.


    GATEAU ET SAINT-JUST
    Saint-Just lorsqu’il était à Paris, soupait tous les jours avec sa maîtresse chez Gateau, son secrétaire qui avait aussi une maitresse. Saint-Just était taciturne, mais Gateau était bavard, méchant, et se vantait volontiers de la puissance qu’il tenait de Saint-Just. Je n’ai jamais eu aucune part à l’intimité de Gateau quoique je l’aie beaucoup connu aux armées: mais il était lié avec Heudelet, frère du général, nous étions en opposition. Sa maîtresse, que je n’ai jamais vue, alliait sans doute à la galanterie des sentiments généreux, comme cela arrive souvent, car c’est elle qui me fit avertir que j’étais sur la liste des inimitiés de Saint-Just, ce dont je me doutais, mais je n’en avais pas la certitude. L’inimitié de Saint-Just dans ce temps-là et la peine de mort étaient unum et idem. Je mis à profit la communication pour moi et pour d’autres. Ce Gateau a été depuis conseiller de préfecture à Luxembourg.


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    Saint-Just parlait souvent, dans ses discours, de cimetière, de tombeaux, de mort; c’était un retour sur lui-même, un avis pour les autres. Il parlait très souvent aussi de modestie et n’en avait guère; il est impossible d’être plus tranchant dans ses expressions.


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    Robespierre et Saint-Just étaient certainement républicains, mais dans un sens trop sévère, d’ailleurs intolérants, despotiques, sans miséricorde pour les nuances faibles; leur mission avait été haineuse, sanglante, implacable. Le cercle de Popilius était devenu si resserré qu’il n’y restait plus que quelques affidés. Ils n’avaient plus pour appui que des agents durs, insociables et en petit nombre. À force de menaces et de meurtres, ils étaient arrivés au point d’armer toutes les oppositions, toutes les vengeances; ils n’avaient plus à combattre pour les doctrines, mais pour leur vie. Aussi, dans la lutte du 9 thermidor, il ne fut pas question de principes, mais de tuer. La mort de Robespierre était devenue une nécessité. En cas de succès de son côté, je suis persuadé qu’il aurait peu tardé à être mis à mort au milieu des conflits d’une guerre civile.



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