PIERRE-GERMAIN GATEAU. NOTE ECRITE EN PRISON
Publiée en préface à la première édition en 1801 des Fragments sur les Institutions républicaines de Saint-Just

    O mon ami, à l’instant où le malheur t’accablait, je n’ai consenti à conserver la vie que pour plaider un jour les intérêts de ta gloire, et pour détruire les calomnies qui sont comme les vautours acharnés à ton cadavre.

    Cher Saint-Just, si je dois échapper aux proscriptions qui ensanglantent ma patrie, je pourrai dérouler un jour ta vie aux yeux de la France et de la Postérité, qui fixeront des regards attendris sur la tombe d’un jeune républicain immolé par les factions. Je forcerai à l’admiration ceux-mêmes qui t’auront méconnu, et au silence et à l’opprobre tes calomniateurs et tes assassins.

    Je dirai quel fut ton courage à lutter contre les abus, avant l’époque même où on put croire qu’il était permis d’être impunément vertueux. Je te suivrai au sortir de l’enfance, dans ces méditations profondes qui t’occupaient tout entier sur la science du gouvernement, les droits du peuple, les droits des peuples, et dans ces élans sublimes de l’horreur de la tyrannie qui dévorait ton âme et t’enflammait de l’enthousiasme plus qu’humain. Je dirai quel était ton zèle à défendre les opprimés et les malheureux, quand tu faisais à pied, dans les saisons les plus rigoureuses, des marches pénibles et forcées pour aller leur prodiguer tes soins, ton éloquence, ta fortune et ta vie. Je dirai quelles furent tes mœurs austères, et je révélerai les secrets de ta conduite privée en laissant à l’histoire de faire connaître ta conduite publique et tes actions dans le gouvernement, tes discours comme législateur, et tes missions immortelles auprès de nos armées.

    O journée de Fleurus! tu dois associer tes lauriers, que rien ne pourra flétrir, aux funèbres cyprès qui ombragent la tombe de mon ami. Et vous, Pichegru, Jourdan, les compagnons de ses exploits et de sa gloire, vous lui rendrez justice. Vous êtes guerriers, vous devez être francs. La bonne foi fut de tout temps la vertu des héros. Vous direz ce que doit la patrie à ses vertus et à son courage. Vous ne trahirez point la vérité, vous ne servirez point l’envie; car, un jour, vous seriez victimes du forfait dont vous auriez été complices. Vous direz ce qu’il a fait contre les traîtres, et comment il a déployé avec une sévérité nécessaire l’autorité nationale; comment il a donné l’exemple de la frugalité et de la bravoure aux soldats, de l’activité et de la prudence aux généraux, de l’humanité et de l’égalité à tous ceux qui l’approchaient.

    Tyran de ses propres passions, il les avait toutes subjuguées pour ne connaître que l’amour de la patrie. Il était doux par caractère, généreux, sensible, humain, reconnaissant. Les femmes, les enfants, les vieillards, les infirmes, les soldats avaient son respect et son affection; et ces sentiments battaient si fort dans son cœur, qu’il était toujours attendri à la vue de ces objets qui intéressants par eux-mêmes.

    Que de larmes je lui ai vu répandre sur la violence du gouvernement révolutionnaire et sur la prolongation d’un régime affreux, qu’il n’aspirait qu’à tempérer par des institutions

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