PIERRE PAGANEL
ESSAI HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA REVOLUTION FRANÇAISE
P., 1815, tt. 1-2

    Une taille moyenne, un corps sain, des proportions qui exprimaient la force, une grosse tête, les cheveux épais, le teint bilieux, des yeux vifs et petits, le regard dédaigneux, des traits réguliers et la physionomie austère, la voix forte, mais voilée, une teinte générale d'anxiété, le sombre accent de la préoccupation et de la défiance, une froideur extrême dans le ton et dans les manières, tel nous parut Saint-Just, non encore âgé de trente ans.

    On a beaucoup dit qu'il avait ordonné la réclusion de sa mère, sans doute pour le peindre par un seul trait.

    Qui peut se flatter d’avoir sondé toute la profondeur de son âme, et, si je puis ainsi parler, toutes les retraites où se cachaient ses pensées? Soupçonneux, dissimulé, ténébreux, il sut, sans conseil et sans étude, être impénétrable et garder son secret. Son naturel lui en apprit plus dans l’art de feindre que n’eût fait la plus longue expérience.

    Il n’a manqué à Saint-Just que d’avoir assez vécu, pour placer son nom bien au-dessus des noms les plus odieux de l’histoire. Il se plaignait de la timidité de ses compagnons, trop lents à délibérer, trop avares de crimes.

    Doué d’un esprit précoce, d’une réflexion prompte et hardie, il ignora le premier âge, l’âge heureux de la vie; la nature lui refusa les épreuves, tantôt si douces, quelquefois si amère, des premières passions. Son imagination était sombre, sa mémoire facile, son élocution obscure; son style était serré, concis, plein d’abstractions et de réticences. Il prenait autant de soin d’occuper, de fatiguer la pensée d’autrui, que de déguiser et de voiler la sienne. Cette obscurité n’était pas un vice de son esprit, mais l’effet de sa volonté. Il sentait, au fond de son âme, la nécessité de cette réserve. Qui ne se fut pas cru en droit de l’étouffer, si son ambition et sa politique eussent été pénétrées? Il affectait la briéveté de Tacite, dont il avait fait son étude; non pour se nourrir des sentiments de l’auteur, mais pour se former à l’école des monstres dont il nous a tracé la vie. Dans Saint-Just tout fut prématuré; le génie, les passions, le caractère. Sous la république il dédaigna d’être un Gracque, aspirant à être un Catilina. Sous des maîtres, il aurait été plus despote que Richelieu, plus cruel que Sejan, mais jamais un Narcisse. C’est pourquoi Saint-Just ne tomba dans aucun des vices vulgaires. Son ambition le défendait de leurs atteintes; elle absorbait son âme toute entière.



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