Site Internet de Louis-Antoine Saint-Just _ Notices biographiques



PHILIPPE LE BAS
L’Univers. Histoire et description de tous les peuples.
France. Dictionnaire encyclopédique.
T. XII. Paris, 1845

SAINT-JUST (Antoine) naquit en 1768, à Décize, dans le Nivernais, d’un chevalier de Saint-Louis qui habitait Blérancourt, près de Noyon. Il venait de terminer de brillantes études a Soissons, lorsque la révolution éclata; il en adopta les principes avec chaleur, et, impatient de contribuer à la régénération de sa patrie, il saisit toutes les occasions de se mettre en évidence. Nourri de la lecture des anciens, admirateur enthousiaste des républicains de la Grèce et de Rome, doué d'un esprit grave et réfléchi, de mœurs austères et d'une capacité égale à son patriotisme, il ne tarda pas à attirer sur lui l'attention de ses concitoyens, qui le nommèrent adjudant-major dans une légion de la garde nationale.

Nommé en 1792, député du département de l'Aisne à la Convention nationale, il y siégea à côte de Robespierre, qui n'avait pas tardé à apprécier la haute valeur politique de son jeune collègue; et dès ce moment, ces deux hommes extraordinaires marchèrent constamment sur la même ligne. On sait que la convention avait, dès sa première séance, voté l'abolition de la royauté et décrété l'établissement de la république; conséquent avec ce premier vote de la grande assemblée, Saint-Just s'appuya, dans son premier discours (13 octobre 1792), de tous les exemples de l'histoire de Rome et d'Angleterre, pour prouver que le roi devait être jugé non comme citoyen, mais comme ennemi, comme rebelle, et que tout Français avait sur lui le droit que Brutus avait eu sur César. «La république, dit-il quelques jours après, ne se concilie point avec des faiblesses; faisons tout pour que la haine des rois passe dans le sang du peuple. – Je demande, dit-il ensuite, lorsqu’il fut question d'expulser la famille d'Orléans, qu'on chasse tous les Bourbons, excepté le roi, qui doit rester ici; vous savez pourquoi». Dans le procès de Louis XVI, il vota pour la mort et contre le sursis. Il discutait en même temps avec un talent très remarquable, les questions les plus importantes et les plus difficiles de l'administration et de la politique. Le 29 septembre 1792, il prononça un discours rempli de vues élevées sur les subsistances, et insista surtout pour qu’on arrêtât l'émission excessive des assignats, que l'on concentrât le pouvoir dans la convention, et qu’on imposât à l’Europe par la terreur. Il avait compris avec Robespierre que l'unité gouvernementale serait impuissante contre l'anarchie et n'aurait qu'une existence précaire, si elle ne s'appuyait sur l'unité morale, c'est-à-dire sur la convergence des sentiments et des idées vers le but commun, indiqué seulement par les formules politiques. «La patrie, dit-il dans ses Fragments sur des institutions républicaines, n'est point le sol, c'est la communauté des affections, qui fait que, chacun combattant pour le salut ou la liberté de ce qui lui est cher, la patrie se trouve défendue. Si chacun sort de sa chaumière, un fusil à la main, la patrie est bientôt sauvée: chacun combat pour ce qu'il aime. Voilà ce qui s'appelle parler de bonne foi: combattre pour tous n'est que la conséquence».

Le 28 janvier 1793, il proposa à ses collègues de diriger eux-mêmes les opérations militaires, ou du moins de s’en faire rendre compte par le ministre de la guerre sans l'intervention du Conseil exécutif, disant qu'il ne devait y avoir dans l'État qu'une seule volonté. Il appuya, le 11 février, le projet de Dubois-Crancé sur l'organisation de l’armée, s'efforçant toutefois de soumettre l'armée au pouvoir législatif, en disant qu'il fallait d'abord la vaincre si l'on voulait qu'elle vainquît à son tour. «Je pense, dit-il, que vous êtes appelés à faire changer de face aux gouvernements de l'Europe. Vous ne devez plus vous reposer qu'elle ne soit libre: sa liberté garantira la vôtre». Il développa plus tard un projet de constitution, fit prévaloir ses idées sur celles de Sieyès et fut adjoint, pour les appliquer, au comité de salut public. Le 15 mai 1793, il fit de nouveau la proposition de supprimer les administrations départementales, dont la plus grande partie, cédant aux sollicitations des Girondins et des fédéralistes, venait de se mettre en insurrection contre le pouvoir central. Le 23 mai, il demanda qu'il n'y eût qu'une seule municipalité dans chaque ville, quelle qu’en fût la population. Il eut une grande part à la chute des Girondins, et fut chargé du rapport sur les fautes et sur les crimes reprochés aux députés arrêtés à la suite des journées du 31 mai et du 2 juin. A cette époque, il entra définitivement au comité de salut public, et fut un de ceux qui contribuèrent le plus à augmenter le pouvoir de ce nouveau gouvernement, en faisant décréter que toutes les administrations lui obéiraient et seraient placées sous sa surveillance. En octobre, il fit ordonner le séquestre des biens des étrangers dont les pays étaient en guerre avec la France, et l'arrestation immédiate de tous les individus nés en ces pays, qui se trouvaient sur le sol de la république.

Envoyé ensuite aux armées avec Le Bas, en qualité de représentant du peuple, il déploya dans ces missions autant de courage qu’il avait montré d'énergie à la tribune. Les affaires de la république étaient alors en très mauvais état; les lignes de Wissembourg venaient d'être forcées, et les Autrichiens, réunis a l'armée de Condé, menaçaient Strasbourg. Dans un danger aussi imminent, Saint-Just, ne consultant que le salut de la république, eut recours au moyen terrible que les révolutionnaires n'employèrent jamais en vain, et, il faut bien le reconnaître. au seul qui pouvait sauver la France; il mit la terreur a l'ordre du jour. «Le mouvement révolutionnaire une fois établi, dit M. de Maistre dans ses Considérations sur la France, la France et la monarchie ne pouvaient être sauvées que par le jacobinisme... Nos neveux, qui s’embarrasseront très peu de nos souffrances, et qui danseront sur nos tombeaux, riront de notre ignorance actuelle: ils se consoleront aisément des excès que nous aurons vus, et qui auront conservé l’intégrité du plus beau royaume». Saint-Just et Le Bas déconcertèrent les projets criminels des royalistes et des ennemis de la république, dont les espérances venaient de se ranimer par les succès de ses alliés, et qui secondaient audacieusement leurs efforts. Robespierre rendit compte de cette mission à la tribune de la convention, le 23 novembre 1793: « Saint-Just, dit-il, a rendu les services les plus éminents, en créant une commission populaire qui s'est élevée à la hauteur des circonstances, en envoyant à l'échafaud tous les aristocrates municipaux, judiciaires et militaires. Ces opérations patriotiques ont réveillé la force révolutionnaire».

Du reste, il n'est pas vrai, ainsi que les partisans de l'ancien régime se sont plu à le répéter, que les représentants du peuple aient cruellement abusé de leurs pouvoirs, et forcé par la crainte des supplices des populations entières à quitter le sol de la patrie pour se refugier sur le territoire ennemi. Ils ne forcèrent à fuir que les ennemis de la révolution, et il est maintenant prouvé que, pendant toute la durée de leur mission, la commission populaire de Strasbourg ne prononça aucune condamnation capitale*; ils firent même arrêter et transférer à Paris, pour le traduire au tribunal révolutionnaire, l’accusateur public du Bas-Rhin, misérable prêtre catholique nommé Schneider, qui se servant, pour satisfaire ses honteuses passions, des pouvoirs qu'on lui avait confiés, avait jeté dans les fers, ou livré à l'échafaud, des citoyens paisibles.

En définitive, la mission de Saint-Just et de Le Bas eut pour résultats la reprise des lignes de Wissembourg et le déblocus de Landau, la retraite des ennemis au-delà des frontières, et la conquête d'une partie considérable de leur territoire; et elle en eût eu de plus considérables sans l'insubordination de Hoche, qui fit manquer une partie de leurs plans.

A son retour à Paris Saint-Just fut nommé président de la convention. Dans les divers rapports qu'il y fit, dans le mois de ventôse an 2, il traça en quelque sorte les préliminaires d'un ordre social nouveau, que Robespierre et lui méditaient : «L’opulence, dit-il, est dans les mains d'un assez grand nombre d'ennemis de la révolution; les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu'un empire puisse exister, si les rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement? Ceux qui font des révolutions à demi ne font que se creuser un tombeau. La révolution nous conduit à reconnaitre ce principe, que celui qui s'est montré l'ennemi de son pays n'y peut être propriétaire. Il faut encore quelques coups de génie pour nous sauver. Serait-ce donc pour ménager des jouissances à des tyrans que le peuple verse son sang sur les frontières, et que toutes les familles portent le deuil de leurs enfants? Vous reconnaitrez ce principe, que celui-là seul a des droits dans notre patrie, qui a coopéré à l’affranchir. Abolissez la mendicité, qui déshonore un État libre. Les propriétés des patriotes sont sacrées; mais les biens des conspirateurs sont la portion des malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre, ils ont le droit de parler en maitres au gouvernement qui les négligent... Pour vous, dit-il en terrminant, détruisez le parti rebelle; bronzez la liberté; vengez les patriotes victimes de l'intrigue; mettez le bon sens et la modestie à l'ordre du jour; ne souffrez point qu'il y ait un malheureux ni un pauvre dans l'État: ce n’est qu'à ce prix que vous aurez fait une révolution et une république véritables» (Rapport du 8). «Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français; que cet exemple fructifie sur la terre; qu'il y propage l'amour des vertus et le bonheur. Le bonheur est une idée neuve en Europe». (Rapport du 13). «Si le peuple aime la vertu, la frugalité; si l'effronterie disparait des visages; si la pudeur rentre dans la cité, les contre-révolutionnaires, les modérés et les fripons dans la poussière; si, terrible envers les ennemis de la révolution, on est aimant et sensible envers un patriote; si les fonctionnaires s'ensevelissent dans leurs cabinets pour s’y assujettir à faire le bien sans courir à la renommée, n'ayant pour témoin que leur coeur; si vous donnez des terres à tous les malheureux, si vous les ôtez à tous les scélérats, je reconnais que vous avez fait une révolution». (Rapport du 23)

Bien convaincu qu'il n'était pas possible d'établir en France cette démocratie fondée sur la vertu, avec des auxiliaires tels que Danton ou la faction d'Hébert, il aida puissamment Robespierre dans la lutte contre les hébertistes, et joua le premier rôle dans celle qui s'engagea bientôt après entre ses amis et ce qu'on appelait alors les indulgents: ce fut lui en effet qui fit à la Convention le rapport des crimes dont étaient accuses les dantonistes.

Chargé à la fin de floréal (mai 1794), d'une nouvelle mission à l'armée du Nord, il y déploya son intrépidité ordinaire, enflamma l'enthousiasme des soldats, en se mettant à la tête d'une colonne chargée d'enlever une redoute extrêmement forte, et rappela de nouveau, par ses mesures énergiques, la victoire sous les drapeaux de la république.

Robespierre le rappela aux approches du 9 thermidor. Pénétré comme son ami de la nécessité de faire cesser le désordre le plus tôt possible, et d’assurer par des institutions la stabilité du système républicain, Saint-Just se hâta de se rendre à Paris. Arrivé de la veille, il voulut, à l’ouverture de la séance du 9, soutenir la sortie victorieuse de son ami contre les membres gangrénés des divers comités; stigmatiser à son tour les indignes représentants du peuple, qui avalent souillé l'étendard de la liberté, et cherché à se faire le palladium du vice; qui avaient déshonoré le titre de patriote en l'invoquant pour couvrir leurs turpitudes et leurs rapines. «Je ne suis d'aucune faction, dit-il, je les combattrai toutes; elles ne s'éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront les bornes de l'autorité, et feront ployer sans retour l'orgueil humain sous le joug de la liberté publique. Le cours des choses a voulu que cette tribune à harangues fût peut-être la roche Tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse...» A ces mots, les conspirateurs éclatent, et interrompent vivement l'orateur. Tallien, tout dégouttant encore du sang des Bordelais, s'élance à la tribune pour y faire entendre des gémissements hypocrites sur le sort malheureux auquel la chose publique est abandonnée. Billaud succède à Tallien, dont il appuie la motion, et lorsque Robespierre veut prendre la parole pour leur répondre, ses ennemis se lèvent en masse pour étouffer sa voix sous les cris: A bas le tyran! A bas le tyran!Mis hors la loi avec Robespierre, Couthon, Le Bas et Robespierre jeune, Saint-Just ne chercha point, comme quelques-uns de ses collègues, à attenter à ses jours; il marcha à l'échafaud avec calme et fermeté, promenant dédaigneusement ses regards sur la foule immense qui l'accompagnait, et paraissant insensible à ses vociférations. Il n'était âgé que de vingt-six ans et demi.

Ainsi que Robespierre, tout en acceptant les secours du sans-culottisme, il avait constamment refuse de lui payer son tribut personnel; il méprisait le ton grossier et les vêtements négligés des démagogues. On a de lui: Organt, poème en vingt chants, 1789, 2 vol. in-8°; Mes passe-temps, ou le Nouvel Organt de 1792, en vers, en vingt chants, par un député à la convention nationale, 1792, 2 parties in-8°; Rapports faits a la convention nationale, au nom de ses comités de sûreté générale et de salut public, les 8 et 18 ventôse, relatifs aux personnes incarcérées et aux factions, et sur le mode d'exécution du décret contré les ennemis de la révolution; le 23 ventôse, sur les factions de l’étranger; le 11 germinal, sur la conjuration ourdie par les factions criminelles pour absorber la révolution française dans un changement de dynastie, et contre Fabre d’Églantine, Danton, Philippeaux, Lacroix et Camille Desmoulins, prévenus de complicité avec ces factions, et le 26 germinal an 2, sur la police générale, sur la justice, le commerce; sur la législation et les crimes des factions; in 32; enfin Fragments sur les institutions républicaines, ouvrage posthume, 1800, in-8°.


* Voyez L’Histoire parlementaire de la Révolution, t. XXXI, p. 30.

Mise en ligne: 25 septembre 2009

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