Imaginez le Champ de Mars actuel sans la Tour Eiffel ni le Trocadéro en face, entourez-le de fossés secs de 11 mètres de large et de grilles fermant les accès
- le voilà tel que l'avaient connu Saint-Just et ses contemporains.
Pendant la révolution, cette esplanade servit de cadre à plusieurs manifestations
patriotiques dont la plus connue reste la Fête de la Fédération célébrée pour le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Les délégations des Gardes nationales
des 83 départements nouvellement créés y avaient participé, 18 000 délégués en tout. Saint-Just y représentait l'Aisne, avec un détachement de la Garde de Blérancourt.
Le 14 juillet 1790, le temps n'était point beau et plusieurs averses dans la journée ont gâché la fête. Dès 6 heures du matin, les fédérés étaient rassemblés à la Porte
de Saint-Martin, attendant le départ du cortège. Vers 7 heures, la procession s'est mise en route, la garde parisienne en tête, puis l'Assemblée nationale au complet,
les fédérés fermant la marche. Au Champ de Mars, un gigantesque autel de la Patrie était dressé où Talleyrand assisté de 200 prêtres a célébré la messe de parade et
La Fayette a prêté le serment de fidélité «à la nation, à la loi et au roi» repris par tous les délégués. Quelles étaient les impressions de Saint-Just de cette mise en
scène patriotique? Il écrit dans «L'esprit de la Révolution»: «cette fédération si ingénieusement imaginée pour travestir l'esprit public fut le sceau qui l'éternisa».
Il n'a pas dû concevoir beaucoup d'admiration pour La Fayette remarquant que la fête «était l'effet des menées de quelques hommes qui voulaient répandre leur popularité».
A-t-il remarqué Robespierre parmi d'autres députés, a-t-il profité de ce séjour à Paris pour aller l'écouter à l'Assemblée ou aux Jacobins? Peut-être; un mois plus tard,
il lui écrira sa fameuse lettre. A-t-il aussi fait connaissance avec Théroigne de Méricourt comme nous le disent ceux qui prétendent l'avoir vu festoyer le soir même
dans son salon? Nul ne le sait avec certitude.
Ce ne fut pas la seule manifestation au Champs de Mars à laquelle Saint-Just avait participé. Le 10 août 1793, il y a eu la Fête de l'Unité et de l'Indivisibilité
de la République, commémorant la révolution du 10 août 1792 et inaugurant la Constitution de l'An I, ratifiée par le référendum national. Le cortège composé
de la Convention nationale, des Sociétés populaires, des délégués des Assemblés primaires et du peuple, démarra de l'emplacement de la Bastille et, passant
par la place de la Révolution et l'esplanade des Invalides, arriva à la fin au Champ de Mars. Ici, devant un autel de la Patrie, Hérault de Sèchelles, héros
du jour, a proclamé la Constitution, saluée par le tir des canons. Hérault sur l'avant-scène, un tel final ne devait pas être au goût de Saint-Just qui, comme on le sait, l'accusait d'avoir manqué
aux travaux sur la Constitution.
Enfin, la dernière fête à laquelle la présence de Saint-Just pouvait être remarquée, fut celle de l'Etre Suprême, le 8 juin 1794, organisée par David. Elle a démarré
au Jardin des Tuileries où le symbole de l'Athéisme a été brûlé par Robespierre laissant place à la Sagesse. Puis le cortège s'est dirigé au Champ de Mars (Champ de la Réunion à
l'époque). Le journal «Décades républicaines» nous en donne la description: «Deux colonnes s'avancent; les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, marchent sur deux files parallèles.
Au milieu du peuple paraissent ses représentants dans le costume de leurs collègues près les armées; ils sont environnés par l'enfance ornée de violettes, l'adolescence de myrthe,
la virilité de chêne, et la vieillesse de pourpre et d'olivier; chaque représentant porte à la main un bouquet d'épis de blé, de fleurs et de fruits, symbole de la mission qui
lui a été confiée». Passant par la place de la Révolution, ils fleurissent la statue de la liberté; puis la procession arrive au Champ de Mars où une montagne symbolique couronnée
par l'arbre de la liberté est dressée. Les Conventionnels s'installent au sommet de la montagne, sous «les rameaux protecteurs» de l'arbre, pendant la cérémonie accompagnée
des hymnes en l'honneur de l'Etre suprême et des serments patriotiques. A la fin, un tir d'artillerie «se fait entendre; tous les Français confondent leurs sentiments dans un
embrassement fraternel; ils terminent cette fête auguste, en faisant retentir les airs de ce cri mille fois répété: Vive la République!».
Certains historiens nient la participation de Saint-Just à la fête de l'Etre Suprême prétextant son départ pour l'armée du Nord. Mais étant en vérité présent à Paris jusqu'au 12 juin,
il paraît peu probable que Saint-Just ait ignoré cette manifestation promettant d'être le triomphe des idées de son ami Robespierre.