Même s'il ne paraît pas possible de cerner avec l'exactitude absolue l'étendue des relations qui lièrent
Saint-Just à toutes les communes voisines, il est évident que son activité débordante ne se bornait pas à Blérancourt seul et que les échanges avec ce réseau, furent
profonds et multiples. Lorsque Pierre Gateau évoque après thermidor son ami mort dont il se promet de défendre la mémoire en rappelant son "zèle à défendre les opprimés
et les malheureux, quand tu faisais à pied, dans les saisons les plus rigoureuses, des marches pénibles et forcées, pour aller leur prodiguer tes soins, ton éloquence, ta
fortune et ta vie", toute bourgade avoisinante comme Camelin, Vassens, Besmé ou Saint-Paul-aux-Bois pouvait sans doute se sentir concernée. Toutefois, il y a quelques
communes qui sont plus marquées par la présence de Saint-Just que les autres...
Lorsqu'en 1771, le Seigneur avait rappelé le grand-oncle Antoine Robinot dans son sein,
les époux Saint-Just furent obligés de récupérer leur fils de chez la nourrice de Verneuil. Ils habitaient alors à Nampcel (7 km de Blérancourt), dans la maison familiale ayant appartenu à
Charles Saint-Just, grand-père d'Antoine, avec Marie-Madeleine Saint-Just, soeur du père. Ici, Louis Antoine a pu faire connaissance avec ses deux petites soeurs, Louise née en 1768,
et Victoire née l'année suivante. Après avoir vécu pendant 2 ans, les Saint-Just retournèrent en 1773 à Decize.
Un autre point significatif de la vie de Saint-Just est lié à Nampcel: le seigneur de ces lieux n'était personne d'autre que le chevalier Armand Brunet d'Evry, le parrain de
Louise, mais aussi celui à qui Madame de Saint-Just s'était adressée lorsqu'Antoine avait fugué à Paris. Le chevalier d'Evry était donc intervenu à sa demande auprès du
lieutenant-général de police afin que Saint-Just soit interné en application d'une lettre de cachet ordonnant l'internement de son fils à la maison de correction Sainte-Colombe. Et c'est lui également qui a raconté cette histoire en publiant à la Restauration une plaquette relative à l'affaire.
Comme souvent, une carte postale ancienne nous vient à l'aide et nous montre le château de Nampcel au début du siècle dernier. Aujourd'hui (2008), on peut voir encore les ruines du
château en travaux de restauration, au vu de devenir une maison de retraite. Quant à la maison familiale, qui se trouvail rue du Couvillot encore en 1913, l'année où O. Boutanquoi avait publié son étude
sur la généalogie de Saint-Just, malheureusement, il n'en reste plus aucune trace: comme plusieurs communes du Nord, Nampcel était presqu'entièrement détruite pendant la Grande Guerre.
Aujourd'hui ce sympathique village entouré de bois, compte principalement des constructions d'après-guerre.
Marie de Nampcel |
La maison de Charles Saint-Just (photo publiée par O. Boutanquoi) |
|
Château de Brunet d'Evry |
Ruines actuelles du château (2008) |
Photos de l'auteur
Manicamp est entré dans les annales de la Révolution lorsqu'en mai 1790, Saint-Just s'est joint aux
hostilités entre le comte Lauraguais et les citoyens de Manicamp, ses "vilains". Sur le chemin de retour de Chauny où il a participé à l'assemblée de désignation du chef-lieu
départemental, Saint-Just a été appelé à l'aide par les paysans de Manicamp. Il a rapporté lui-même le fait dans son courrier à Camille Desmoulins: «Le comte de Lauraguais fut
fort étonné de cette cérémonie rusti-patriotique. Je les conduisis tous chez lui pour le visiter. On me dit qu'il est aux champs et moi cependant je fis comme Tarquin; j'avais
une baguette avec laquelle je coupais une fougère qui se trouva près de moi sous les fenêtres du château et sans mot dire, nous fîmes volte-face».
Dès le mois de juin, sur l'instigation de la mairie de Blérancourt dirigée par Saint-Just, les paysans cessent de payer les droits seigneuriaux, et plus encore. Mécontents de
leur municipalité, de connivence avec le château, ils organisent le 27 juin 1790 des nouvelles élections municipales, et Blérancourt leur envoie 4 gardes nationaux comme
observateurs. De son côté, le comte s'en est plaint le 30 juillet dans une missive à François-Noël Babeuf, futur Gracchus, alors feudiste à Roye: «Il y a 6 semaines, que pour
avoir demandé de l'argent à mes débiteurs, au lieu de me payer un terrier, ils ont voulu se partager mes terres: depuis ce temps là, je suis au milieu d'une insurrection qu'un
brouillon de Blérancourt, nommé Saint-Just, a excitée dans mes environs Je ne puis avoir un sol de personne; comme ma maison est entourée de larges fossés d'eau, j'y vis comme
dans une citadelle, mais j'y mourrais de faim si ma provision de farine était consommée».
En août 1790, les autorités départementales ont infligé un blâme à la commune de Blérancourt; une enquête avait été ordonnée mais n'a pas pu avancer faute de témoins... Quant au
comte Lauragais, il passait, mis à part ses relations avec les paysans, pour un agriculteur progressiste; ainsi, on le voit cultiver sous la Révolution des pommes de terre; ce
commerce devait l'enrichir pendant les crises de subsistances. Contre-révolutionnaire notoire, arrêté, il sera transféré à Paris en juillet 1794, mais échappera à la guillotine
et sera libéré après thermidor. Quant à son château entouré des fossés, là encore, une gravure ancienne nous permet de le restituer. Mais peine perdu de le chercher aujourd'hui:
un vaste champ est à son emplacement. Rien d'autre que les bâtiments de l'après-guerre dans ce paisible village picard, si différent sans doute de celui que Saint-Just avait connu.
Château du comte Lauraguais en 1835, en voie de démolition
|
Emplacement actuel du château
|
|
Mairie de Manicamp
|
Une rue de la commune
|
Photos de l'auteur. Les images relatives au château de Manicamp proviennent de
la publication de J.-J. Godfroid où d'autres renseignements sur cette commune sont
disponibles.
En 1790, Saint-Just entreprit de tisser des liens fédératifs avec les gardes nationales des communes voisines. Après une démarche dans ce sens envers Soissons qui
n'a pas apporté beaucoup de fruits, il a eu plus de succès après Vassens. Le 24 juin 1790 une délégation de la garde nationale de Blérancourt s'y rendit pour offrir
une «alliance fraternelle pour le soutien de la constitution et de l'intérêt commun». L'après-midi, Blérancourt a reçu à son tour la garde nationale et le maire
de Vassens où ils ont prêté le serment. Toutefois, l'entreprise fut de courte durée car en septembre 1790 les autorités départementales ont interdit «tout projet
de rassemblement sous le nom de fédération de gardes nationales».
Autre point commun liant Vassens à Blérancourt, fut la spoliation des communaux. A ce sujet, un échange avait eu lieu entre Saint-Just que la commune de Blérancourt
avait désigné comme son avocat dans le procès qui l'opposait au seigneur, et l'abbé Musnier, le curé de Vassens, qui se voulait la porte-parole de ses oilles mais,
malgré le soutien reçu, n'avait pas osé pousser l'affaire jusqu'au procès. Les relations entre les deux hommes ont pourtant duré jusqu'à thermidor, le curé continuant
à demander à Saint-Just conseil et appui.
Comme toujours, une carte postale ancienne nous aide
à représenter ce village aux temps d'antan. Ici, l'entrée du village vers 1900 devait ressembler certainement plus au paysage vu par Saint-Just, que la vue de l'actuelle rue Principale.
|