PIERRE-GERMAIN GATEAU. NOTE ECRITE EN PRISON

douces, bienfaisantes et républicaines! Mais il sentait qu’il fallait détendre et non pas briser les cordes de l’arc. Il voulait surtout prévenir les abus et punir les crimes. Il voulait régénérer les mœurs publiques, et rendre tous les cœurs à la vertu et à la nature.

    Il était pénétré de la corruption des hommes, et voulait en détruire le germe par une éducation sévère et des institutions fortes. – «Aujourd’hui, me disait-il, on ne peut proposer une loi rigoureuse et salutaire, que l’intrigue, le crime, la fureur ne s’en emparent et ne s’en fassent un instrument de mort, au gré des caprices et des passions».

    J’ai été témoin de son indignation à la lecture de la loi du 22 prairial, dans le jardin du quartier-général de Marchiennes, au pont devant Charleroy. Mais, je dois le dire, il ne parlait qu’avec enthousiasme des talents et de l’austérité de Robespierre, et il lui rendait une espèce de culte.

    Il soupirait auprès le terme de la Révolution pour se livrer à ses médiations ordinaires, contempler la nature, et jouir du repos de la vie privée dans un asile champêtre, avec une jeune personne que le ciel semblait lui avoir destinée pour compagne, et dont il s’était plu lui-même à former l’esprit et le cœur, loin des regards empoisonnés des habitants des villes.

    C’est une atroce calomnie de l’avoir supposé méchant. La vengeance ni la haine n’ont jamais entré dans son âme. J’en appelle à vous, citoyens de Blérancourt, sous les yeux desquels son génie et ses vertus ses sont développés. Il en est parmi vous dont les liaisons, les habitudes, les passions avaient corrompu les opinions politiques et qui avez outragé, persécuté Saint-Just, parce qu’il marchait dans une route contraire à celle où vous vous étiez jetés.

    Cependant, après qu’il fut devenu membre du Gouvernement, quand vous vous êtes vus traduits au Tribunal révolutionnaire pour des faits et des discours inciviques, vous n’avez pas craint d’invoquer son témoignage; et par ses soins et ses efforts vous êtes rentrés dans vos foyers, et vous avez joui des embrassements de vos proches qui n’espéraient vous revoir. – «Ils ont été mes ennemis, disait-il en parlant de vous; je leur dois tout mon zèle et mon appui, pourvu que l’intérêt public ou l’inflexible probité n’exigent pas le sacrifice de leur liberté ou de leur vie». – Et il réussit à vous sauver.

    Autant il était liant et sociable dans les affaires privées, autant il était quelquefois irascible, sévère et inexorable quand il s’agissait de la patrie. Alors il devenait un lion, n’écoutant plus rien, brisant toutes les digues, foulant aux pieds toutes les considérations; et son austérité imprimait la crainte à ses amis et lui donnait un air sombre et farouche, et des manières despotiques et terribles, qui le forçaient ensuite à réfléchir lui-même avec effroi sur les immenses dangers de l’exercice du pouvoir absolu, quand il est confié à des hommes dont la tête n’est pas aussi bien organisée que le cœur est pur…

    Tel était l’homme qui, à peine âgé de vingt-sept ans, a été moissonné par une révolution à laquelle il avait consacré son existence, et qui a laisse de longs regrets à la patrie et à l’amitié.