Robespierre, qui avait une grande confiance en Le Bas parce qu’il connaissait bien son caractère prudent et sage, l’avait choisi pour
accompagner Saint-Just, que son brûlant amour de la patrie entraînait quelquefois à trop de sévérité, et dont le caractère pêchait par l’emportement.
Saint-Just aimait beaucoup mon mari; il s’aperçut du chagrin que lui causait la pensée de me quitter. Il avait aussi de l’amitié pour
moi et venait assez souvent chez nous. Il vit bien que je supporterais difficilement, dans l’état de grossesse où j’étais, le chagrin d’une nouvelle séparation.
Enfin notre providence, notre bon ami Robespierre, parla à Saint-Just pour l’engager à me laisser partir avec eux, ainsi que ma
belle-sœur Henriette. Il y consentit, mais avec des conditions: il nous fit promettre de ne voir personne de la vile où nous allions nous rendre, de ne recevoir
qui que ce soit, de n’avoir aucun rapport de société avec les habitants, et nous dit que si nous ne nous conformions pas scrupuleusement à sa recommandation,
il se verrait forcé de nous faire repartir tout de suite pour Paris. Saint-Just et mon mari, qui sentaient toute l’importance de leur mission, craignaient
que l’on ne s’adressât à nous pour chercher à les influencer et les troubler dans leurs devoirs.
<…>
Nous partîmes enfin pour Saverne. Nous voyagions tous les quatre dans la même voiture. Saint-Just eut pour moi, en route, les attentions
les plus délicates et les prévenances d’un tendre frère. À chaque relai, il descendait de la voiture pour voir si rien n’y manquait, de peur d’accident. Il
me voyait si souffrante qu’il craignait pour moi. Il fut enfin si bon et si attentif pour ma belle-sœur et pour moi que la route ne nous parut pas longue.
Mon bien-aimé fut très sensible à toutes ses bontés et lui en marqua toute sa reconnaissance.
Pour passer le temps, ces messieurs nous lisaient des pièces de Molière ou quelques passages de Rabelais, et chantaient de s airs
italiens; ils faisaient tous leurs efforts pour nous distraire et me faire oublier mes souffrances.
<…>
Robespierre envoyait Le Bas avec Saint-Just en mission parce qu’il savait Le Bas calme et juste, quoique ardent, et capable de modérer
Saint-Just, dont le caractère véhément et passionné aurait été quelquefois nuisible aux intérêts de la Patrie.