MEMOIRES DE RENE LEVASSEUR (de la Sarthe)

     - Tous les jurés sont des patriotes, me répondit-il; au reste encore quelques châtiments et le règne de la clémence va être mis à l’ordre du jour. – Vous vous y prenez un peu tard; un parti vous devance peut-être et se servira de ces moyens pour vous renverser. – Il n’y a qu’un républicain comme toi qui puisse me parler ainsi sans me paraître suspect». Que n’ont-ils mis de suite en pratique leur projet de pacification, ils auraient épargne bien du sang et peut-être leur pouvoir, conservé plus longtemps, eût été utile à la France, sur laquelle il a pesé si douloureusement et qu’on a renversé au moment où il allait porter ses fruits!


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    Robespierre a toujours été regardé comme la tête du gouvernement révolutionnaire. Pour moi, qui ai vu de près les événements de cette époque, j’oserais presque affirmer que Saint-Just y eut plus de part que Robespierre lui-même. Quoique l’un des plus jeunes des membres de la convention, Saint-Just était peut-être celui qui joignait à l’enthousiasme le plus exalté, au coup d’œil prompt et sûr la volonté la plus opiniâtre et l’esprit plus éminemment organisateur. Profondément convaincu, exalté jusqu’au fanatisme, il avait des dehors les plus froids, parce que son enthousiasme résultait d’une certitude mathématique. Jamais on n’avait pu faire varier son opinion; jamais on n’avait pu faire fléchir ses résolutions; considérant seulement le but qu’il voulait atteindre, il calculait peu le genre de moyens qu’il lui faudrait employer: les plus sûrs lui paraissaient toujours les meilleurs. Pour fonder la république qu’il avait rêvée depuis longtemps, il aurait donné sa tête, mais aussi cent mille têtes d’hommes avec la sienne. Intimement lié avec Robespierre, il lui était devenu nécessaire, et il s’en était fait craindre peut-être plus encore qu’il n’avait désiré s’en faire aimer. Jamais on ne les a vus divisés d’opinions, et s’il a fallu que les idées personnelles de l’un pliassent devant celles de l’autre, il est certain que jamais Saint-Just n’a cédé. Robespierre avait un peu de cette vanité qui tient de l’égoïsme; Saint-Just était plein de l’orgueil qui naît de croyances bien affermies; sans courage physique, et faible de corps, jusqu’au point de craindre le sifflement des balles, il avait le courage de réflexion qui fait attendre une mort certaine, pour ne pas sacrifier une idée.