Adolphe ROBERT, Gaston COUGNY, Edgar BOURLOTON
Dictionnaire des parlementaires français:
comprenant tous les membres des assemblées françaises et tous les ministres français depuis le ler mai 1789 jusqu'au ler mai 1889, avec leurs noms, état civil,
états de services, actes politiques, votes parlementaires, etc.
Ed. Bouloton, 1891
SAINT-JUST (Antoine-Louis-Léon de), membre de la Convention, né à Decize (Nièvre) le 25 août 1767, exécuté à
Paris le 28 juillet 1794, «fils légitime de messire Louis-Jean de Saint-Just de Richebourg, chevalier de l’ordre royal et militaire de
Saint-Louis, capitaine de cavalerie, ancien maréchal des logis de gendarmerie compagnie d’ordonnance de Monseigneur le duc de Berry, et de dame Jeanne-Marie
Robinot», fit à Soissons de brillantes études qu’il termina au moment de la Révolution. Il en adopta chaleureusement les principes, et ne tarda pas à se faire
remarquer par son zèle réformateur. Nourri de la lecture des anciens, admirateur enthousiaste des républiques de la Grèce et de Rome, d’un esprit rave et
réfléchi, de mœurs austères et d’un caractère inflexible, il attira l’attention de ses concitoyens, qui le nommèrent adjudant-major dans une légion de la
garde nationale. Élu, le 5 septembre 1792, député de l’Aisne à la Convention le 5ème sur 12, par 349 voix (600 votants), il prit place à la Montagne, à côté
de Robespierre, qui appréciait la valeur de son jeune collègue: dès le début, ils suivirent tous les deux la même ligne de conduite. La Convention ayant, dès
sa première séance, voté l’abolition de la royauté et l’établissement de la République, Saint-Just s’appuya dans son premier discours (13 octobre 1792) sur
les exemples de l’histoire de Rome et d’Angleterre pour soutenir que Louis XVI devait être jugé en ennemi, d’après le droit des gens et non d’après la loi
divine. Il présenta peu après ses vues sur les principes de l’économie française et sur la libre circulation des grains. En mainte occasion il affirma «sa
haine pour les rois», et souhaitant qu’elle «passât dans le sang du peuple». Il opina énergiquement pour l’expulsion de tous les Bourbons, «excepte le roi,
dit-il, qui doit rester ici, vous savez pourquoi». Dans le procès de Louis XVI, Saint-Just vota pour la mort et contre le sursis: «Puisque
Louis XVI, dit-il, fut l’ennemi du peuple, de sa liberté et de son bonheur, je conclus à la mort». En même temps il abordait, avec compétence, les questions
les plus importantes de l’administration et de la politique: l’organisation du ministère de la guerre, celle de l’armée, la constitution future, la division
politique de la République, la formation des municipalités, etc. Le 29 septembre 1792, il prononça un discours remarquable sur les subsistances: il insista
surtout pour qu’on arrêtât l’émission excessive des assignats et que l’on concentrât le pouvoir dans la Convention. L’artisan résolu de l’unité gouvernementale,
fondée sur l’unité morale, il revint à plusieurs reprises sur cette double nécessité. Le 28 janvier 1793, il proposa à ses collègues de diriger eux-mêmes les
opérations militaires ou du moins de s’en faire rendre compte par le ministre de la Guerre, sans l’intervention du conseil exécutif. Adjoint, pour appliquer
ses idées en matière de constitution, au comité de salut public, il proposa, le 15 mai, de supprimer les administrations départementales, dont la plus grande
partie, cédant aux sollicitations des Girondins, venait de s’insurger contre le pouvoir central. Le 23 mai, il demanda qu’il n’y eût qu’une seule municipalité
dans chaque ville, quelle qu’en fut la population. Il eut une grande part à la chute des Girondins et fut chargé du rapport sur les députés arrêtés à la suite
des journées du 31 mai et 2 juin. À cette époque il entra définitivement au comité de salut public et fut un de ceux qui contribuèrent le plus à en augmenter
l’influence, en faisant décréter que toutes les administrations lui obéiraient e seraient placées sous sa surveillance. En octobre, il fit ordonner le
séquestre des biens des étrangers dont les pays étaient en guerre avec la France, et l’arrestation immédiate de tous ceux qui se trouvaient sur le sol de la
République. Envoyé avec Le Bas en mission aux armées, il y déploya une impitoyable énergie. La situation était des plus graves; les lignes de Wissembourg
venaient d’être forcées, et les Autrichiens, réunis à l’armée de Condé, menaçaient Strasbourg. Saint-Just prit les mesures le plus rigoureuses contre les
ennemis de la république, et Robespierre, rendant compte de cette mission à la tribune de la Convention, le 23 novembre 1793, dit: «Saint-Just a rendu les
services les plus éminents, en créant une commission populaire qui s’est élevée à la hauteur des circonstances en envoyant à l’échafaud tous les aristocrates
municipaux, judiciaires et militaires. Ces opérations patriotiques ont réveillé la force révolutionnaire.» Un grand nombre de pièces, aux Archives nationales,
portent le cachet adopté alors par Saint-Just: en exergue: Subsistances militaires, sur le champ: la guillotine; au dessus, sur une planchette:
Guerre aux fripons. La commission populaire de Strasbourg ne prononça, pendant toute la durée de la mission de Saint-Just et de Le Bas, aucune
condamnation capitale, et elle fit arrêter et transférer à Paris, pour le traduite au tribunal révolutionnaire, l’accusateur public du Bas-Rhin, Schneider,
qui avait abusé contre les citoyens paisibles des pouvoir que sa situation lui conférait. Au point de vue militaire, la mission de Saint-Just et de Le Bas
eut pour résultat la repris des lignes de Wissembourg, le déblocus de Landau, la retraite des ennemis au-delà des frontières, et la conquête d’une partie de
leur territoire. À son retour à Paris, Saint-Just fut nommé président de la Convention. Dans les divers rapports qu’il y fit (ventôse an II), il traça en
quelque sorte le plan de l’ordre politique et social que Robespierre et lui préparaient: «L’opulence, disait-il, est dans les mains d’un assez grand nombre
d’ennemis de la Révolution; les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu’un empire puisse exister, si les
rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement? Ceux qui font des révolutions à demi ne font que se creuser un tombeau.
La révolution nous conduit à reconnaître ce principe que celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire… Les propriétés des patriotes
sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont la portion des malheureux» (8 ventôse). «Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni
un oppresseur sur territoire français; que cet exemple fructifie sur la terre; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur. Le bonheur est une idée
neuve en Europe» (13 ventôse). Préoccupé d’établir en France une démocratie «fondée sur la vertu», il aida puissamment Robespierre dans sa lutte contre les
hébertistes, et joua le principal rôle, peu de temps après, dans celle qui s’engagea entre ses amis et le parti dit des indulgents: ce fut lui qui lit à la
Convention le rapport accusateur qui entraîna l’exécution des dantonistes. Chargé, à la fin de floréal an II (mai 1794), d’une mission dans le Nord, il y
donna de nouvelles preuves d’intrépidité, enflamma l’enthousiasme des soldats, en se mettant à la tête d’une colonne chargée d’enlever une redoute, et
contribua aux victoires de Charleroi et de Wattignies. Robespierre le rappela aux approches du 9 thermidor. Pénétré, comme son ami, de la nécessité de faire
cesser le désordre le plus tôt possible, et d’assurer par les institutions stables l’avenir du système républicain, Saint-Just se hâta de se rendre à Paris.
Arrivé de la veille, il voulut, à l’ouverture de la séance du 9, soutenir les efforts de Robespierre contre certains membres des divers comités, et flétrir
ceux des représentants qui avaient, selon lui, déshonoré le titre de patriote en l’invoquant pour couvrir leurs turpitudes. «Je ne suis d’aucune faction,
s’écria-t-il, je les combattrai toutes; elles ne s’éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront les bornes de
l’autorité, et feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug de la liberté publique. Le cours des choses a voulu que cette tribune aux harangues
fût peut-être la roche Tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse…» A ces mots, la
majorité interrompit vivement l’orateur. Tallien s’élança à la tribune; après lui, Billaud-Varenne protesta contre les paroles de Saint-Just, et, lorsque
Robespierre voulut prendre la parole pour leur répondre, ses ennemis étouffèrent sa voix sous les cris: A bas le tyran! Les «thermidoriens»
triomphaient. Mis hors la loi avec Robespierre, Couthon, Le Bas et Robespierre jeune, Saint-Just ne chercha point à attenter à ses jours; il marcha à
l’échafaud avec calme et fermeté, promenant froidement ses regards sur la foule immense qui l’accompagnait au supplice. Il mourut à vingt sept ans. On a de
lui: Organt, poème en vingt chants (1789); Mes passe-temps, ou le Nouvel Organt, par un député de la Convention nationale (1792);
Rapports faits à la Convention, les 8, 13 et 23 ventôse, le 11 germinal et le 25 germinal an II, et des Fragments sur les institutions républicaines,
ouvrage posthume (1800).
Mise en ligne: 25 août 2009
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