EULOGE SCHNEIDER
    Il était au plus trois heures et demie le 21 décembre, quand un cortège bruyant se répandit dans la plus vaste rue de 
Strasbourg, et vint s’arrêter au-dessous du balcon de Saint-Just. […]
    Schneider s’était fait précéder de quatre coureurs, revêtus des couleurs nationales. Sa voiture découverte, quoique le temps fût 
douteux, était traînée par six beaux chevaux. Il l’occupait seul avec sa fiancée, éblouissante de parure, et assurée de regard, et de maintien. […]
    Une légère rumeur qui ne tarda pas à s’étendre au loin annonça que Saint-Just allait paraître au balcon. Il y avait dans sa démarche 
une sorte de brusquerie solennelle: il ne cherchait pas l’accueil du peuple; il le réprimait, au contraire, d’un geste sec et absolu. Ses cheveux épais et 
poudrés à neige sur ses sourcils noirs et barrés, sa tête perpendiculaire sur sa haute et ample cravatte, la dignité de cette taille petite, l’élégance de 
cette mise simple, ne manquaient cependant jamais leur effet sur la multitude. Il fit signe qu’on s’arrêtât, et on s’arrêta.
    Le représentant du peuple venait d’apprendre la violation de ses ordres, et tel était probablement le motif de la colère qui animait 
son regard luisant et profond; mais ce sentiment, tout indomptable qu’il était dans son cœur, fit un moment place à la surprise, quand Saint-Just aperçut 
près de Schneider une jeune fille en habits de fiancée. Celle-ci, profitant du moment où elle excitait son attention, s’élança hors de la voiture, et se 
jetant à genoux sur les pavés: «Justice, s’écria-t-elle, justice, citoyen! J’en appelle à Saint-Just et à la Convention!» Puis elle raconta en peu de mots, 
mais avec l’expression la plus éloquente, l’horrible abus de pouvoir du tyran de l’Alsace. – Est-il vrai! dit Saint-Just en appuyant sa main sur son front. 
Cela peut-i être vrai! – Tout le monde fut d’accord sur les faits, sans en excepter l’homme de la petite voiture que son intimité cordiale avec Schneider 
rendait un témoin imposant, et qui déclara qu’il avait reçu l’ordre de se tenir prêt pour l’exécution du père de la Young frau, s’il avait refusé son 
consentement au mariage. Saint-Just ne parlait pas, ou tout au plus il murmurait à basse voix quelques mots confus: «Le voilà donc dévoilé, l’exécrable 
capucin de Cologne». Et puis, il mordait ses poings, et frappait à coups réitérés sur la barre de son balcon. «Qu’aurais-tu fait, dit-il enfin à la fiancée, 
si tu ne m’avais pas trouvé disposé à te rendre justice? – Je l’aurais tué ce soir au lit, répondait-elle en montrant un poignard qu’elle avait caché sous 
son corset. Maintenant, je te demande sa grâce.  – Sa grâce! cria Saint-Just dont ce mot réveilla la fureur. La grâce du capucin de Cologne! A la guillotine! 
continua-t-il avec un explosion incroyable dans un caractère si méthodique et si mesuré. Qu’on le mène à la guillotine!»
// Suite //