«– Couperai-je la tête? répondit respectueusement l’homme maigre de la petite voiture. – Je n’en ai pas le droit, dit Saint-Just, en frémissant de dépit. Au supplice
que le monstre a inventé! qu’on l’attache à la guillotine jusqu’à nouvel ordre». […]
Comme j’étais à un point trop éloigné du lieu de la scène pour en saisir tous les détails….
SAINT-JUST EN MISSION
Charles Nodier paraît plus autentique lorsqu'il parle de sa rencontre personnelle avec Saint-Just... sans oublier toutefois que ce sont là des
souvenirs d'un garçon apeuré de 12 ans, évoqués plusieurs années plus tard
…J’allais voir Saint-Just, ce terrible Saint-Just dont le nom n’avait jamais frappé mon oreille qu’entouré d’un cortège
d’épithètes menaçantes. Mon cœur battait violemment, et je sentais mes jambes près de défaillir, quand j’entrai dans son cabinet. <…> Saint-Just ne prit pas
garde à moi.
Il me tournait le dos, et se mirait dans la glace de sa cheminée en ajustant avec un soin précieux, entre deux girandoles chargées
de bougies, les plis de cette haute et large cravate dans laquelle sa tête immobile était exhaussée comme un ostensoir, suivant l’expression cynique de
Camille Desmoulins, et que l’instinct d’imitation des étranges petits-maîtres du temps commençait à mettre à la mode. Je profitai du temps que cela dura,
et qui paraîtrait bien long si je le mesurais à mon impatience et à mon inquiétude, pour étudier dans le reflet du miroir la physionomie du juge suprême
qui allait décider de mon sort; je me livrai à cet examen sans craindre que mes regards fussent rencontrés par les siens, car j’étais dans l’ombre et il ne
regardait que lui. La figure de Saint-Just était bien loin d’offrir cette gracieuse combinaison de traits mignards dont nous l’avons vue dotée par le crayon
euphémique d’un lithographe. Il était bien cependant, quoique son menton ample et assez disproportionné eût quelque obligation à l’étoffe complaisante qui
l’enveloppait à demi de ses détours multipliés. L’arc de ses sourcils, au lieu de s’arrondir en demi-cercles unis et réguliers, se rapprochait plutôt de la
ligne droite, et ses angles intérieurs, qui étaient touffus et sévères, se confondaient l’un avec l’autre à la moindre pensée sérieuse qu’on voyait passer
sur son front; son œil était large et habituellement pensif, et son teint pâle et grisâtre, comme celui de la plupart des hommes actifs de la révolution ce
qui était probablement en eux l’effet des veilles laborieuses et des rigoureuses contentions d’esprit. Seulement, et je ne me suis rappelé cette observation
de détail qu’en feuillant depuis les systèmes des physionomistes, ses lèvres molles et charnues indiquaient un penchant presque invincible à paresse et à