CHARLES NODIER
SOUVENIRS DE LA REVOLUTION ET DE L'EMPIRE

    SAINT-JUST EN MISSION (Suite)

- Le grec! Il aurait été plus naturel, ce me semble, d'y venir apprendre l'allemand. Et à quoi bon le grec, puisque les Lacédémoniens n'ont pas écrit? Mais quel est donc le savant qui se mêle à Strasbourg de donner des leçons de grec?
- Euloge Schneider, citoyen, l'élégant traducteur d'Anacréon, un des premiers hellénistes de l’Allemagne.
-Le capucin de Cologne! s'écria Saint-Just. Euloge Schneider anacréontique! Va, va, continua-t-il avec un sourire d'ironie et d'amertume, va apprendre le grec d'Euloge Schneider. Si je croyais que tu dusses en apprendre autre chose, je te ferais étouffer!»

    Je sortis, muni de mes papiers qui m'avaient été rendus au secrétariat.



    LES INSTITUTIONS REPUBLICAINES DE SAINT-JUST

Cette appréciation de Saint-Just, comme écrivain et comme théoricien politique, est tirée de la notice qui précède les Fragments sur les institutions républicaines, ouvrage posthume de Saint-Just‚ imprimé par Charles Nodier, Paris, Techener, 1831, in-8°. - Avant d'éditer ce livre étrange, Nodier en avait déjà parlé dans les Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, Paris, Crapelet, 1829

     <…>
    Ce malheureux Saint-Just, que les biographies ont calomnié, parce qu'il n'y a rien à faire de mieux quand on parle d’un grand citoyen mort à vingt-six ans sur l'échafaud, et qu'il n’y a réellement qu'un factieux incorrigible qui puisse mourir à vingt-six ans pour la liberté et poul.l'amitié; ce malheureux Saint-Just, dis-je, n'était pas un homme sans entrailles. Au fond de sa vie artificielle, il lui était resté un cœur de jeune homme, des tendresses, et même des convictions devant lesquelles notre civilisation perfectionnée reculerait de mépris Il s'occupait des enfants; il aimait les femmes; il respectait les cheveux blancs; il honorait la piété; il croyait, ce qui est bien plus fort, au respect des ancêtres et au culte des sentiments. Je l'ai vu pleurer d'indignation et de rage, au milieu de la société populaire de Strasbourg, lui qui ne pleurait pas souvent, et qui ne pleurait jamais en vain, d'un outrage à la liberté de la foi et à la divinité du Saint-Sacrement. C'était un philosophe extrêmement arriéré au prix de notre siècle.

    Si cela ne vous rebute pas, lisez-le, car vous êtes encore digne de le lire, et même de le plaindre. Donnez-lui, selon l'effet qu'il produit sur vous, un sourire amer ou une larme; et puis, cachez-le dans votre bibliothèque, fort au-dessous des rêveries du bon Platon, derrière le roman politique de Thomas Morus, et tout près des Voyages de Sindbad le marin.



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