«Saint-Just <…> monte aussitôt à la tribune, et lit l’acte d’accusation le plus
singulier, le plus monstrueux qu’on puisse imaginer. C’est sur son ton sentencieux, flegmatique, qu’il débite ce thème incroyable, son manuscrit d’une main
immobile, de l’autre faisant un seul geste, levant son bras droit et le laissant retomber d’un air inexorable et sans appel, comme le couperet même de la
guillotine. <…> La lecture de ce rapport de Saint-Just, après plus de 30 ans écoulés, me confond et me suffoque encore autant que le premier jour où je l’ai
entendu». [«Mémoires de Barras, membre du Directoire», publiés par George Duruy, P., 1895-96]
«Robespierre et Saint-Just étaient certainement républicains, mais dans un sens
trop sévère, d’ailleurs intolérants, despotiques, sans miséricorde pour les nuances faibles; leur mission avait été haineuse, sanglante, implacable. Le cercle
de Popilius était devenu si resserré qu’il n’y restait plus que quelques affidés. Ils n’avaient plus pour appui que des agents durs, insociables et en petit
nombre. À force de menaces et de meurtres, ils étaient arrivés au point d’armer toutes les oppositions, toutes les vengeances; ils n’avaient plus à combattre
pour les doctrines, mais pour leur vie. Aussi, dans la lutte du 9 thermidor, il ne fut pas question de principes, mais de tuer. La mort de Robespierre était
devenue une nécessité. En cas de succès de son côté, je suis persuadé qu’il aurait peu tardé à être mis à mort au milieu des conflits d’une guerre civile».
[«Notes historiques sur la Convention nationale» de Marc-Antoine Baudot, Lyon, 1893]
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«Saint-Just était un jeune présomptueux qui ne parlait que par sentences, et
qui semblait dire en montant à la tribune: «Ecoutez-moi, car je n'ai que des choses importantes à vous dire». Il n'était pas sans talent, mais il avait un
amour-propre démesuré. Cependant, il reconnaissait la supériorité de Robespierre... Heureusement sa mission (à l'armée du Nord) n'a pas été de longue durée,
car il commençait à décourager les meilleurs soldats par une sévérité portée jusqu'à l'excès, ne connaissant, comme Dracon, pour tous les délits, que la
peine de mort». [«Mémoires et notes de Choudieu», publiés par Victor Barrucand, P., 1897]
PIERRE GERMAIN GATEAU, jeté en prison après le 9 thermidor,
y écrit courageusement un éloge de son ami mort
«O mon ami, à l’instant où le malheur t’accablait, je n’ai consenti à conserver
la vie que pour plaider un jour les intérêts de ta gloire, et pour détruire les calomnies qui sont comme les vautours acharnés à ton cadavre.
Cher Saint-Just, si je dois échapper aux proscriptions qui ensanglantent ma patrie, je pourrai dérouler un jour ta vie aux yeux de la
France et de la Postérité, qui fixeront des regards attendris sur la tombe d’un jeune républicain immolé par les factions. Je forcerai à l’admiration ceux-mêmes
qui t’auront méconnu, et au silence et à l’opprobre tes calomniateurs et tes assassins.
Je dirai quel fut ton courage à lutter contre les abus, avant l’époque même où on put croire qu’il était permis d’être impunément
vertueux. Je te suivrai au sortir de l’enfance, dans ces méditations profondes qui t’occupaient tout entier sur la science du gouvernement, les droits du
peuple, les droits des peuples, et dans ces élans sublimes de l’horreur de la tyrannie qui dévorait ton âme et t’enflammait de l’enthousiasme plus qu’humain.
Je dirai quel était ton zèle à défendre les opprimés et les malheureux, quand tu faisais à pied, dans les saisons les plus rigoureuses, des marches pénibles
et forcées pour aller leur prodiguer tes soins, ton éloquence, ta fortune et ta vie. Je dirai quelles furent tes mœurs austères, et je révélerai les secrets
de ta conduite privée en laissant à l’histoire de faire connaître ta conduite publique et tes actions dans le gouvernement, tes discours comme législateur,
et tes missions immortelles auprès de nos armées». [Note écrite en prison, publiée en préface à la première impression des «Fragments républicains», 1801]
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PHILIPPE LE BAS parle de son collègue dans les lettres
à sa femme Elisabeth
«Je suis très content de Saint-Just; il a des talents que j’admire et d’excellentes
qualités.»
«…c’est un excellent homme; je l’aime et je l’estime de plus en plus tous les jours. La République n’a pas de plus ardent, de plus
intelligent défenseur. L’accord le plus parfait, la plus constante harmonie ont régné parmi nous. Ce qui me le rend encore plus cher, c’est qu’il me parle
souvent de toi et qu’il me console autant qu’il peut. Il attache beaucoup de prix, à ce qu’il me semble, à notre amitié, et il me dit de temps en temps de
choses d’un bien bon cœur». [Correspondance avec sa femme, novembre 1793]
«…C’est un homme si singulier». [Correspondance avec sa femme, mai 1794]
ELISABETH LE BAS relate des souvenirs sur l'ami de son mari
«…Robespierre, qui avait une grande confiance en Le Bas parce qu’il connaissait bien son caractère prudent et sage, l’avait choisi
pour accompagner Saint-Just, que son brûlant amour de la patrie entraînait quelquefois à trop de sévérité, et dont le caractère pêchait par l’emportement.
Saint-Just aimait beaucoup mon mari; il s’aperçut du chagrin que lui causait la pensée de me quitter. Il avait aussi de l’amitié pour
moi et venait assez souvent chez nous. Il vit bien que je supporterais difficilement, dans l’état de grossesse où j’étais, le chagrin d’une nouvelle séparation.
Enfin notre providence, notre bon ami Robespierre, parla à Saint-Just pour l’engager à me laisser partir avec eux, ainsi que ma
belle-sœur Henriette. Il y consentit, mais avec des conditions: il nous fit promettre de ne voir personne de la vile où nous allions nous rendre, de ne recevoir
qui que ce soit, de n’avoir aucun rapport de société avec les habitants, et nous dit que si nous ne nous conformions pas scrupuleusement à sa recommandation,
il se verrait forcé de nous faire repartir tout de suite pour Paris. Saint-Just et mon mari, qui sentaient toute l’importance de leur mission, craignaient
que l’on ne s’adressât à nous pour chercher à les influencer et les troubler dans leurs devoirs». [Mémoires d'Elisabeth Le Bas, publiés par Stéfane-Pol dans
«Autour de Robespierre. Le Conventionnel Le Bas», P., 1900]
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AUGUSTIN LEJEUNE, ex-employé du Bureau de la Police générale,
caractérise son ex-employeur, malgré sa mémoire qui flanche à 41 ans à peine
«Saint-Just se présente à ma pensée comme un des personnages où les bigarrures de
l’esprit humain se sont manifestées de la manière la plus frappante.
Quelquefois il se montrait bon jusqu’à répandre des larmes sur le malheur d’autrui; et souvent on l’a vu cruel, jusqu’à fermer son cœur au cri
le plus déchirant de la nature. Était-il vrai, quand il pleurait? étais-ce par instinct qu’il commettait des cruautés? <…> L’âme de Robespierre offre de la prise au discernement
de l’observateur: toujours constant dans le crime, on découvre en lui un goût inné du désordre, une nature essentiellement malfaisante».
[«Note historique sur Saint-Just», écrite en 1812, publiée par A. Bégis, P., 1896]
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RENE LEVASSEUR se remémore sa mission dans le Nord
«… je me portai sur une hauteur d’où l’on voyait le camp ennemi; St-Just
m’accompagnait. Nous vîmes très distinctement l’ennemi mettre le feu au canon. Je dis à mon collègue: «Les représentants du peuple ne doivent pas voir de si
loin une bataille; courons dans la mêlée? – Que veux-tu que nous allions faire là?» Cette réponse fit sourire quelques officiers qui se trouvaient près de
nous. J’en pris de l’humeur, et je dis ironiquement à St-Just: «Je vois que l’odeur de la poudre t’incommode». Je le quittai ensuite en donnant de l’éperon à
mon cheval...» [«Mémoires de R. Levasseur (de la Sarthe)», publiés par A. Roche, P., 1829]
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ROBERT LINDET n'a pas oublié son ex-collègue du Comité
«Ce Saint-Just était l'une des têtes les plus despotiques de la Convention. C'était un homme
froidement atroce et sanguinaire».
[«Notes manuscrites relatives aux événements du 9 thermidor»]
CHARLES NODIER, quoique fort jeune au moment où il avait
approché Saint-Just à Strasbourg, n'a jamais oublié cette rencontre, et a longuement exploité ses souvenris sur lui et son séjour en
Alsace, dans ses oeuvres littéraires
«Une légère rumeur qui ne tarda pas à s’étendre au loin annonça que Saint-Just allait
paraître au balcon. Il y avait dans sa démarche une sorte de brusquerie solennelle: il ne cherchait pas l’accueil du peuple; il le réprimait, au contraire,
d’un geste sec et absolu. Ses cheveux épais et poudrés à neige sur ses sourcils noirs et barrés, sa tête perpendiculaire sur sa haute et ample cravatte, la
dignité de cette taille petite, l’élégance de cette mise simple, ne manquaient cependant jamais leur effet sur la multitude».
[charles Nodier. «Souvenirs de la Révolution et de l’Empire», P., 1850]
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PIERRE PAGANEL s'exprime sur le compte du Conventionnel
«Qui peut se flatter d’avoir sondé toute la profondeur de son âme, et, si je
puis ainsi parler, toutes les retraites où se cachaient ses pensées? Soupçonneux, dissimulé, ténébreux, il sut, sans conseil et sans étude, être impénétrable
et garder son secret. Son naturel lui en apprit plus dans l’art de feindre que n’eût fait la plus longue expérience.
Il n’a manqué à Saint-Just que d’avoir assez vécu, pour placer son nom bien au-dessus des noms les plus odieux de l’histoire. Il se
plaignait de la timidité de ses compagnons, trop lents à délibérer, trop avares de crimes». [«Essai historique et critique sur la Révolution française» de
Pierre Paganel, P., 1815, tt. 1-2]
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Mise en ligne: 14 juillet 2009